Lorsqu’elle s’embarqua au début du printemps, nul parmi ses compagnons ne savait au juste ce qui poussait Sigdís Hrörikdóttir à prendre la mer. Mais pas un ne croyait qu’elle partît pour l’or ou l’ambre.
Sans doute cherchait-elle à fuir sa propre demeure, et les lieux qui sa vie durant avaient été la joie de son cœur. Les montagnes comme les sentes où elle aimait courir avaient perdu tout pouvoir sur elle.On disait que la présence du tertre qui abritait les ossements de sa fille assombrissait la moindre de ses pensées. Si cela était vrai, l’océan devait alors paraître à ses yeux, plus que les hautes terres, comme la seule issue au chagrin et à la colère. Mais il se pouvait aussi que le vieux langskip de son père, trop longtemps éloigné des eaux, et dont la figure féroce, blanche encore au creux salé des écailles, noircie là où la main l’avait trop souvent étreinte, réclamât son festin d’écume et de ciel.
Ainsi Sigdís chercha-t-elle toujours à satisfaire les appétits de ses compagnons. Elle longea les côtes frisonnes, et fit dans ces contrées le commerce de l’ivoire de morse. Elle troqua aussi la peau du renne, et celle du renard blanc, contre ces épées franques que les Nortmen aimaient tant, et qui descendaient le Rhin depuis des forges lointaines. Des mois durant, aux côtés des Danes, elle combattit les pillards saxons qui rôdaient dans les eaux du Skagerrak. Elle guettait chaque occasion de s’abrutir de carnage. S’il fallait réprimer un jarl trop remuant, elle y mettait une férocité telle qu’on en vint à craindre la vue de sa voile.
Hrolf Kraki, roi des Danes, tint bientôt en si haute estime sa hardiesse et sa ruse, qu’on raconta qu’il cherchait à l’épouser. Mais Sigdís repartit au printemps suivant, car elle craignait qu’à trop s’attarder sous la halle d’Halfdansson, elle ne finisse par succomber à ses peines plus qu’aux avances du roi.
Celle à qui les Danes avaient entre-temps donné le nom de « Fille à la Lance » navigua ensuite vers l’ouest, libre à nouveau de toute attache. Elle s’engagea sur le Rhin, et entra par ce chemin dans le royaume des Franks. Elle délaissa bientôt le grand fleuve et entreprit de remonter l’un de ses tributaires, dont le cours s’infléchit vers des terres riches d’hommes. Les Vikings trouvèrent là des collines chevelues où s’élevaient quelques forteresses, mais on ne leur fit pas querelle. Ils purent ainsi commercer avec les chefs qui tenaient la région. Ils aimaient l’ivoire avec avidité, et les fourrures tout autant, qu’ils faisaient coudre à leur col.